Introduction du mémoire de recherche de master 1 Information-Communication

alysee flaut redaction web la ville intelligente ou smart city

La ville intelligente
Sous les pavés, le numérique

Pléonasme pour certains, les villes ayant toujours été intelligentes, concept emprunt d’espoir et solutions aux problématiques urbaines actuelles et futures pour d’autres, le projet de ville intelligente est de toutes les projections et discussions.
La ville, cet objet complexe à définir,  se prête à un nouvel exercice de planification urbaine. Des villes sumériennes aux villes contemporaines, l’histoire urbaine est marquée par maintes évolutions, répondant chacune aux exigences de leurs époques. De la ville radieuse portée par Le Corbusier, à la ville durable précurseur de cette nouvellement nommée « ville intelligente », ces ambitions urbaines teintées d’utopies concrètes ont mobilisé pléthore d’architectes, urbanistes, chercheurs mais également industriels, politiques et très récemment citoyens de manière active. Si d’après le fameux dicton « l’air de la ville rend libre », cet air est nouvellement chargé d’une électricité particulière. Apparu il y a une dizaine d’années, le concept de smart city ou ville intelligente selon qu’on lui préfère son terme francisé, est une manière renouvelée de penser la ville, son fonctionnement, les interactions entre ses parties prenantes.

Cette  fois-ci,  les  projets  urbains  se  tissent  avec  un  nouveau  matériau :  les  NTIC,  ou  plus communément appelées les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication. Ces dernières, vécues comme de véritables technologies disruptives, se mettent au service de la ville pour en optimiser le fonctionnement. On parle de smart grids ou réseaux énergétiques intelligents, de smart lighting ou éclairage intelligent, de smart communities, de big data… Si ce nouveau champ lexical peut paraître un peu brumeux, voire ampoulé, il laisse deviner une effervescence dans la fourmilière urbaine, une agitation qui secoue de manière analogue les diverses parties prenantes. Qui sont  ces  parties  prenantes  et  qu’ont-elles  à  gagner  dans  la  ville  intelligente ?  Quels  intérêts particuliers servent-elles ? Un véritable projet urbain se cache-t-il derrière ces termes marketing et vendeurs ?  Cette  ville  intelligente  produit  quantité  de  données,  dont  elle  se  sert  pour  son fonctionnement.  Quelle  surveillance  sociale  met-elle  en  place  en  contrepartie ?  Quelle  place  le citoyen prend-il au cœur de ce projet ? Peut-il être appréhendé autrement que comme un simple producteur de données et consommateur potentiel ? Nous verrons que ce projet urbain est porté par des acteurs aux intérêts singuliers, parfois divergents, ayant chacun leur perception propre de ce que peut être une ville intelligente.

Figurent au premier plan les industriels, qui voient dans la ville intelligente un territoire d’expérimentation docile et ambitieux pour leurs technologies. Ils y voient en outre un colossal marché d’avenir estimé à plusieurs milliers de milliards de dollars d’ici à 2020. Capteurs, puces RFID, éclairages intelligents, smart grids, logiciels de gestion centralisés, technologies diverses… Les industriels innovent, développent, testent, mais surtout collaborent. Car les rôles au sein de la ville intelligente tendent à se décloisonner. Les « silos » s’entrouvrent, les ambitions deviennent poreuses donnant naissance à de nouveaux types de partenariat inter-industries.
Ils   sont   opérateurs   et   équipementiers   de   télécommunications,   constructeurs   informatiques, intégrateurs de systèmes d’information, opérateurs de réseaux électriques, distributeurs d’énergie, entreprises de travaux publics, promoteurs immobiliers, entreprises de transport, industriels des secteurs des services, des technologies de l’information et de la communication. Et ils montent des partenariats, co-créent des entreprises, échangent compétences et savoir-faire, et s’associent dans une dynamique d’innovation. Le terme décloisonnement figure l’immatérialité de l’information et l’invisibilité des réseaux contemporains qui structurent la smart city en devenir.  Internet, les réseaux informatiques et de données, favorisent cette ouverture inter-secteurs et tendent à diminuer l’effet
« silo »,    au  profit  de  collaborations  fructueuses.  Mais  cette  ville  disciplinée,  bonne  élève  et ambitieuse, rêvée par les industriels fait naître par-delà ses capteurs des craintes qui ne sont pas sans rappeler les dystopies des romans d’anticipation. Quand intelligence rime avec surveillance, les situations Orwellienne que les villes intelligentes sous-tendent laissent planer la crainte d’une surveillance généralisée. Ville technique et techniciste, en quête de perfection, annihilant les individualités, planifiant à l’extrême… la ville intelligente flirte avec la fiction dystopique et ne laisse que  de  place  au  hasard.  Ainsi  se  dessine-t-elle  sous  le  crayon  des  industriels :  fonctionnelle, servicielle, et vigilante… Intrusive ?

Et elle semble convenir aux collectivités territoriales qui s’en saisissent avec pareil engouement. Car les élus l’ont bien compris : une ville connectée est une ville attrayante, d’autant plus si on lui appose le  qualificatif  d’« intelligente ».  Les  collectivités  construisent  leurs  stratégies  autour  de  lignes directrices que sont la mobilité urbaine, l’énergie, les services aux citoyens et les services démocratiques. Administration plus dynamique, éclairage intelligent, amélioration de la mobilité, bâtiments  vertueux,  réseaux  de  distributions  énergétiques  économes,  réseaux  Wi-Fi  publics…
Contrairement aux industriels, les villes n’ont rien à vendre si ce n’est l’attractivité de leurs territoires, délimitant une sphère d’influence forte à l’égard des acteurs extérieurs. Et dans un contexte de concurrence mondiale accrue, de coupes budgétaires drastiques sur fond de crise économique, les territoires redoublent d’efforts pour attirer capitaux, entreprises et talents, trio gagnant et clé de voûte d’un  développement  économique  territorial  optimal.  Elles  focalisent  leurs  stratégies  de développement autour des thématiques des villes créatives, incubatrices, apprenantes. Se dotent de quartiers de l’innovation, forment des pôles de compétitivité associant entreprises, laboratoires de recherche et instituts de formation. Elles encouragent l’émergence de tiers-lieux propices à la collaboration et surtout communiquent sur le rayonnement de leurs territoires. Là encore, l’union fait la  force :  ces  derniers  s’agglomèrent  autour  de  lieux,  d’espaces  dédiés  à  l’innovation  (pôles  de compétitivité) et acquièrent de la force. À terme, ces conglomérats risquent de canaliser la dynamique d’innovation autour de pôles majeurs, dotant les territoires attractifs d’un plus grand attrait encore, et laissant sur le bord de la route les territoires les plus modestes.

Mais une ville, bien que physique et matérielle, est avant tout sociale. La ville servicielle, purement fonctionnelle portée par les acteurs industriels, plébiscitée par les collectivités, n’est sûrement pas celle dont rêvent les citoyens.
Georg Simmel précise dans son essai Sociologie de l’espace que la ville « n’est pas une entité spatiale aux conséquences sociales, mais une entité sociologique formée spatialement ». Il souligne ainsi l’importance de l’individu dans l’existence de la ville.
Car la ville intelligente, ce n’est pas que l’intelligence de ses technologies, c’est aussi celle de ses habitants, la robustesse de son tissu social. Et qui forte de ce constat, favorise la concertation, l’interaction et la collaboration.
Les citoyens demandent à être co-auteurs de la ville. Ils se saisissent pour cela d’un outil particulier, interface de dialogue privilégié entre la ville et l’habitant : les plateformes web. La démocratisation d’internet a rendu possible des lieux de rencontre virtuels, propices à l’échange et à la collaboration, accessibles à une masse critique d’internautes qui forment des communautés actives. Les plateformes web facilitent l’exercice de la démocratie participative par la mise à disposition en ligne d’un certain nombre de ressources, d’espaces d’expression citoyenne et de contributions, et l’ouverture des données via le mouvement de l’open data, pour plus de transparence. Elles ont contribué à l’expansion des pratiques de consommation collaborative, plus éthiques, plus durables. Ces lieux d’échange font appel à l’expertise citoyenne, favorisant l’innovation ascendante (la créativité du « bas »), la réinvention de l’urbain. Elles participent en outre par les rencontres, l’écoute et le dialogue qu’elles permettent, à
restaurer un lien social distendu. Collaboration, convivialité, entraide, créativité, co-création… L’intelligence de la ville, ce n’est pas que des infrastructures et technologies innovantes.

J’ai été amenée au cours de ce travail à confronter les points de vue, perceptions et ambitions des différentes parties prenantes afin d’en déduire une vision de la ville intelligente qui me paraissait la plus juste.
Pour le mener à bien, je me suis appuyée sur de nombreux ouvrages ayant trait à la ville, comme espace physique mais aussi comme objet social, et de nombreuses sources en ligne, la primeur du sujet choisi exigeant des sources journalistiques récentes. Ce mémoire tente de résumer au mieux les problématiques et enjeux de la ville intelligente, en les présentant sous l’angle qui m’a paru le plus intéressant.
Une première partie nous permettra de prendre connaissance de la « ville », sa complexe définition, sa situation mondiale actuelle, et les traits « intelligents » sous lesquels elle se dessine.
Il est ensuite important de saisir le contraste entre la ville intelligente sous le prisme des industriels et des collectivités territoriales (leurs ambitions, les spécificités et les limites de leur projets), que nous verrons  dans  une  deuxième  partie ;  et  le  lien  entre  ville  intelligente  et  citoyen  (la  nécessaire réappropriation de son territoire physique et social), sur lequel nous clôturons ce mémoire.