What’s hAPPening? Les Apps peuvent-elles tuer le web ?

Alysée Flaut rédactionnel les apps peuvent-elles tuer le web

Polyvalent, multitâche, mobile et compact, le smartphone c’est le tout-en-un gagnant, sexy et terriblement efficace. Guère plus imposant qu’un petit carnet de notes, il fait office d’appareil photo, mp3, outil de travail, confident, planificateur, ami, conseiller, assistant personnel, fenêtre vers le monde, colporteurs de ragots, espion. Séduisant, le smartphone sait se rendre indispensable.

399,5 millions d’appareils ont été livrés dans le monde au 4ème trimestre 2015. D’après l’Institut GFK, en 2015, environ 1,3 milliard de terminaux ont trouvé preneur (+7 % par rapport à 2014), tandis que 399 milliards de dollars ont été brassés par ces ventes (+5 %). Les utilisateurs mobiles uniques ont dépassé les 50 % de la population mondiale en septembre 2014 et ce sont désormais 4 forfaits mobiles sur 10 dans le monde qui sont considérés comme haut débit, à savoir 3G ou mieux.

Car le smartphone c’est aussi et surtout l’avènement de l’Internet mobile. Ainsi, le paysage du trafic web en janvier 2015 dans le monde se dessinait de la façon suivante : 62 % du trafic provenait d’un ordinateur, 31 % d’un mobile, 7 % d’une tablette, et 0.1 % d’autres appareils tels que les consoles de jeux. Et l’Internet mobile ne cesse de gagner du terrain. Mais l’autre grande nouveauté permise par le smartphone, ce sont les applications. Apparues dans les années 90, elles visaient premièrement à améliorer la productivité et à faciliter la récupération d’informations telles que courrier électronique, calendrier électronique, contacts, marché boursier et informations météorologiques. Elles sont, avec le temps devenues des « Apps » qui nous font naviguer d’un air lancinant de l’univers du jeu aux réseaux sociaux, de l’information au pratique, en passant par les services, les rencontres, la nourriture. Véritables trompes-ennui et touches-à-tout, le succès de ces applications est éloquent et leur nombre sur les différents markets, en avril 2015, se chiffrait en millions : 1.6 millions dans le Google Play Store et 1.5 millions dans le Apple Apps Store.

Ludiques, interactives, plus rapides, les applications évoquées ici sont dites « natives ». Elles sont des programmes autonomes qui s’installent et s’exécutent sur le smartphone ou la tablette. Une fois installées, elles ont accès à toutes les fonctions « natives » de ces appareils que ce soit l’appareil photo, le GPS, le gyroscope… Matérialisées par de petites  icônes, elles s’exécutent bien plus rapidement qu’une page web mobile les éléments d’interface n’ayant pas besoin d’être téléchargés depuis un serveur. Elles émettent également des notifications push pour plus d’interaction avec l’utilisateur et peuvent parfois fonctionner hors ligne. Mais en contrepartie, elles nécessitent de nombreuses mises à jour régulières et manuelles à chaque sortie d’une nouvelle version et ne fonctionnent que sur un seul système d’exploitation. C’est ce dernier point particulièrement qui agite les partisans d’un Internet ouvert et accessible.

Rappelons-le, le web et Internet se sont construits sur des valeurs d’accessibilité et d’ouverture. Le web est un système hypertexte public qui fonctionne sur Internet et indexe les documents. Il permet ainsi de consulter des pages sur des sites via un navigateur. La toile est donc un ensemble d’hyperliens qui lient les pages entres-elles. De manière plus large, quiconque peut accéder à l’information, et utiliser librement les technologies de l’Internet telles que le courrier électronique ou le partage de fichier en pair à pair car ces dernières sont interopérables. L’interopérabilité nous dit Wikipédia est  « la capacité que possède un produit ou un système, dont les interfaces sont intégralement connues, à fonctionner avec d’autres produits ou systèmes existants ou futurs, et ce, sans restriction d’accès ou de mise en œuvre ». Et l’interopérabilité, c’est justement le point faible des applications natives évoluant en environnement fermé, reposant sur des technologie propriétaires, les fameux Walled Garden. Le contenu de ces Apps ne se trouve donc pas sur le web à proprement parlé mais dans des systèmes d’information clôts.

Tim Bernes Lee est le premier en 2010 à s’être alarmé de la situation. Dans une tribune publiée dans le Scientific American Magazine de décembre 2010, il s’interrogeait sur l’avenir de l’esprit d’internet. Dans son viseur, les réseaux sociaux, Itunes, Apple, et les multiples applications mobiles qui selon lui, « retiennent captives des informations publiées par leurs utilisateurs à l’écart du reste du web. » Il avertissait alors : « la protection de l’ouverture et du coeur du web est désormais identique à la sauvegarde de la liberté d’expression ». Selon lui, le Web doit avant tout rester un lieu qui « rend possible une conversation permanente et globale », tandis que les applications natives semblent privilégier les conversations à huit clos.

Il soulevait alors la question de nos usages mobiles, et mettait en garde contre l’utilisation des applications natives au détriment du web ou des web Apps. Tandis que les échanges numériques reposaient autrefois sur des technologies universelles telles que le HTML, les emails, les sms/mms, une grande partie des interactions se font désormais au sein d’applications qui cloisonnent conversations et contenus. Des applications mobiles fournies par les grandes plateformes tels que Instagram ou Vine en passant par les applications mobiles telles que WhatsApp, Snapchat, Kik messenger… Nous abandonnons progressivement des systèmes ouverts et interopérables pour des des services propriétaires et fermés. « La tendance […] de produire des « applis » pour smartphone plutôt que des applications Web est inquiétante, parce que ce contenu ne fait pas partie du Web. Vous ne pouvez pas le mettre dans vos signets, ni envoyer par email un lien vers une page pointant dessus », s’inquiète le père de l’Internet. Et si les développeurs consacrent plus d’énergie à développer des applications fonctionnant sur Ios ou Android, qu’à développer des technologie basées sur le HTML5, nous encourons le risque d’un appauvrissement du web au profit de systèmes utilisant des protocoles propriétaires.

Pour tenter de lutter contre ce phénomène de Balkanisation du web, le W3c, dont la principale mission est de s’assurer que le web reste une plateforme ouverte et universelle, milite pour le développement des web apps – open mobile web apps -, ces applications créées avec html5 et accessibles depuis n’importe quel navigateur, sur n’importe quel système. La web app est une application mobile développée grâce aux langages web : HTML5, CSS3 et javascript. Sa nature même la rend accessible et exécutable sur tous les smartphones, quelque soit l’appareil ou le système d’exploitation. La market place sur laquelle la wep app est disponible est ouverte. Solution idéale me direz-vous ? Pas si sûr. Si le gain de temps et d’argent réalisés dans leur développement est incontestable, leurs performances moindres  les fragilisent face à des applications natives robustes, rapides, et pouvant profiter des outils du smartphone à loisir tels que le gps, l’appareil photo, et fonctionner hors connexion, choses que ne peuvent pas faire les web apps. Les détracteurs noteront également un manque d’ergonomie résultant de l’incapacité à combiner toutes les lignes de conduites graphiques des applications Android, IOS ou Windows Phone, chacune très différente.

Face aux multiples possibilités et avantages qu’offrent les applications natives, il apparaît clairement que les web apps n’ont pour le moment pas matière à concurrence auprès des utilisateurs : manque d’interactivité, impossibilité d’utiliser les systèmes natifs des smartphones, connexion Internet indispensable, temps de chargement… Sont autant de handicaps que cumulent ces dernières.
La question n’est alors pas de savoir lequel de ces deux types d’applications gagnera la bataille du smartphone, mais davantage de comprendre comment, par nos usages, par les choix stratégiques réalisés par les grandes entreprises détentrices du pouvoir de décision, allons nous pouvoir rendre toutes les technologies mobiles interopérables.

En conclusion, si les applications natives ne vont pas tuer le web, il est nécessaire d’être avisé sur la situation délicate de ce dernier. Pour continuer d’exister tel qu’on le connaît : une plateforme ouverte et universelle, il doit recevoir l’attention nécessaire. De la part des développeurs comme les enjoignait gentiment Tim Bernes Lee (Développeurs, l’avenir du web est entre vos mains) , mais également des internautes et des grandes entreprises décisionnaires.

La solution résiderait peut-être dans les « Progressive Web App » sur lesquelles travaille actuellement la firme de Mountain View, dans la droite ligne des applications hybrides. Présentées par Google comme le meilleur du Web et le meilleur des Apps, elles permettent une utilisation hors-ligne, un design responsive, une expérience utilisateur semblable aux Apps avec des mises à jours automatiques, des push notifications, et la possibilité d’avoir le meilleur des apps et de la navigation web simultanément. What will APPen? L’avenir nous le dira.